En mai, je n’ai pas lu autant que je le voulais, à mon grand regret. Cela ne m’a cependant pas empêché d’apprécier les livres que j’ai eu en mains. À l’image du mois dernier, c’est de bande-dessinée dont je vais vous parler. Diamétralement opposées, l’une revient sur les États-Unis et l’Europe des années 20 en se concentrant sur la figure de Fats Waller, tandis que l’autre aborde l’actuelle ville d’Abidjan où erre le jeune Hondo, entre les affres de la rue et des petites frappes.
Igort & Sampayo
Fats Waller: La voix de son maître (tome 1) – Chocolat amer (tome 2)
Cette bande-dessinée livre en 2 tomes (respectivement publié en 2004 et 2005, Casterman, collection « Un monde ») l’histoire d’un prodige américain, Thomas Wright Waller (1904-1943), plus connu sous le surnom de Fats Waller. Pianiste, organiste, chanteur et compositeur, Waller était un artiste comme on en fait plus.
Les auteurs, Igort et Sampayo, révèlent un portrait sans concession de ce musicien au destin tragique. Située dans les années 30, sous fond de New Deal, de ségrégation et de montée du nazisme, et à la grande époque du Cotton Club, cette bande dessinée aborde le succès sans frontière de Waller. Entre États-Unis et Europe, il conquit un public large, parmi lesquels de nombreux communistes pour qui sa musique a tenu une place importante, comme on peut le découvrir tout au long de ces deux albums.
Animé par le besoin constant d’écrire et de composer, il écrit de nombreux hits dont Honeysuckle Rose et Ain’t Misbehavin avec son acolyte, le poète, compositeur et parolier Andy Razaf (1895-1973), de son vrai nom Andriamanantena Paul Razafinkarefo.
Artisan de talent, il était aussi un amoureux des femmes et de la bouteille, menant une vie de faste, loin de son épouse et de leurs enfants. Un aspect moins glamour de sa vie auquel touchent les auteurs.
Igort et Sampayo ont fait le choix d’une narration très saccadée, sous fond musical, où les lieux et les époques s’entremêlent dans une volonté d’illustrer la simultanéité des événements entre l’Europe et les États-Unis. Les compositions de Waller sont les fils conducteurs entre ces deux tomes qui mêlent musique, politique et espionnage. Entre l’Espagne de Franco, l’Allemagne d’Hitler et l’Amérique ségrégationniste, les auteurs ne manquent pas de donner une peinture inquiétante de l’époque et de ses dérives.
S’il faut un peu de temps pour s’adapter à ce rythme, il faut admettre que le procédé apporte de la fraîcheur à la lecture et renseigne sur le caractère multiculturel de cette époque et l’influence constante entre Européens et Américains.
Hector Sonon, Mathias Mercier, Jean-Claude Derey
Toubab Or Not Toubab
Toubab or Not Toubab de Jean-Claude Derey s’inscrit dans un autre genre. C’est une bande-dessinée noire dont l’histoire est située à Abidjan (Côte d’Ivoire).
Centrée sur le jeune Hondo, 12 ans, un orphelin d’origine mauritanienne, Toubab or not Toubab livre un récit poignant de la rue et de ces travers. Ce garçon devient vite la proie de voyous coupeurs de mains qui font de lui leur complice pour mieux le soumettre à leur autorité.
Sur sa route, Hondo fera la rencontre d’un enfant-soldat, Boubakar surnommé Colonel Jackson, qui a participé à la guérilla en Sierra Leone. Leur union de galère met en lumière les enfances sacrifiées du continent, que ce soit sur l’hôtel de la misère, de la corruption, de la guerre ou d’un mélange plus mortifère encore.
Les Toubabs évoqués dans le titre sont ces colons qui profitent pleinement de leur statut et de leur pouvoir. Ils sont au cœur de ce système qui écrasent et profitent de cet avilissement généralisé, dans la pleine indifférence des autorités, elles aussi corrompues en leur sein.
Entre la rue, la prison et diverses manipulations, Hondo se retrouve pris au piège, quel que soient ses mouvements. Il ne perd cependant pas l’espoir d’un autre ailleurs, meilleur ou du moins plus favorable.
Cette bande-dessinée est profondément noire et ne cherche pas à se défaire de ce trait. La nature humaine y est disséquée avec froideur, mais sans complaisance pour nous livrer une histoire intemporelle dans son essence. L’esthétique et la narration plairont aux amateurs de films et de romans noirs.
C’est une lecture dense mais rapide qui convient aux petits comme aux grands.