“Nous ne sommes pas à la hauteur de l’Algérie et l’Algérie n’est pas à notre hauteur”
Ces mots sont ceux de Messaouda, 82 ans. C’est son histoire que son fils, le journaliste Nadir Dendoune, a décidé de mettre en images dans Des Figues en avril. Ce documentaire esquisse le portrait d’une femme, d’une épouse et d’une mère-courage. 57 minutes durant, elle répond aux questions de son fils, dans un mélodieux mélange de kabyle et de français, et dresse son parcours de l’Algérie à la France, où elle vie depuis presque 60ans.
Sans jamais tomber dans le misérabilisme ou la tristesse, le fils capture sa mère avec beauté et sensibilité. On se retrouve souvent à rire de la familiarité de ces scènes et des pics que lance le fils à sa mère, notamment sur l’huile de ses beignets ou sur son ourson. L’impertinence est présente mais jamais la mère ne s’en offusque. Si sa solitude et sa nostalgie sont décelables par moment, Messaouda est une femme forte et bien entourée, dôtée d’un bodyguard de poids, son nounours qu’elle garde précieusement à ses côtés, près de son oreiller. De ses longs cheveux roux qu’elle tresse avec soin, à sa passion pour son nounours et pour les jeux télé, aux passages de la serpillère, à la préparation de plats traditionnels ou encore du café, les images nous font entrevoir la routine quasi-militaire d’une femme d’honneur et de devoirs, dont la douceur, l’humilité, le goût pour la simplicité et l’amour des siens laissent parfois pantois, le cœur et la gorge serrés.


À travers ses réponses se dessine l’exil et une figure importante de sa vie et du récit : Mohand, son mari, atteint par la maladie d’Alzheimer et auquel elle rend quotidiennement visite en maison médicalisée. Il est le lien et le liant. Un homme auquel elle est liée par l’amour, le mariage, l’Algérie et l’exil. Un déracinement, vécu à deux, qui est devenu un engagement de ne jamais se quitter. Ainsi, elle lance cette magnifique déclaration d’amour, telle une profession de foi : « Jamais, je ne l’abandonnerai. » S’il n’est pas physiquement présent, il occupe une présence palpable dans l’air et les murs de ce deux-pièces de l’Île-Saint-Denis. Les mots de Messaouda et les nombreuses photos dans l’appartement lui donnent corps dans ce film qui raconte, entre autres, l’immigration algérienne du prisme de la femme, souvent oubliée ou invisibilisée à cet endroit.
Son récit est celui d’une femme qui a consacré sa vie aux siens et au travail le plus noble, le plus difficile et sans doute parfois le plus ingrat : élever ses enfants. Messaouda et Mohand en ont eu 9, qu’il fallait nourrir, vêtir et éduquer. Ils les élèvent en Français et le kabyle était rarement parlé. Une dualité de langage et d’identité que l’on retrouve dans les échanges entre la mère et le fils : celui-ci parle en français tandis que celle-ci alterne et mélange français et kabyle – une situation qui parlera à beaucoup d’enfants d’immigrés. Cela n’empêche pour autant pas la transmission.
C’est pour suivre son mari que cette femme quitte l’Algérie à 25 ans avec ses quatre filles. Leur histoire n’est pas seulement celle d’un couple mais aussi celle de toute une génération, celle d’exilés qui ont dû tout reconstruire, à des milliers de kilomètres de chez eux, sans l’espoir ni la pensée de pouvoir un jour s’y réinstaller. “Nous ne sommes pas à la hauteur de l’Algérie et l’Algérie n’est pas à notre hauteur.”, lance Messaouda. Une phrase bouleversante de sens.
Si le réalisateur rend hommage à sa mère – et à son père – on ne peut s’empêcher de penser à la sienne et d’être profondément ému par ces moments intimes entre une mère et son fils. Ce bout de femme ne sera étranger à personne, encore moins aux enfants d’immigrés. Les traits de son visage, ses yeux accentués de khôl, ses gestes et ses mots racontent une histoire à la fois personnelle, familière et universelle.
Des Figues en avril, sorti le 4 avril, recèle une voix rare de l’intime et de l’histoire de l’immigration.
Crédits photos: Millerand