La journaliste Fanny Hubert inaugure ce jeudi 21 septembre le Bechdel Club au cinéma Le Brady à Paris. Pour l’occasion, je l’ai rencontré sur le toit de la Cité de la Mode et du Design afin de discuter de ce projet et de la représentation des femmes au cinéma.

Peux-tu nous donner les prémices de ce projet ?
J’ai toujours eu envie de faire un ciné-club parce que je trouve ça super cool de faire découvrir des films aux gens, que ça soit des films ultra connus ou pas, (…) Après, concernant ce ciné-club, du coup, je voulais un thème qui soit assez percutant (…) et que ça ne soit pas un truc déjà vu mille fois. J’ai pensé au Bechdel Test parce que c’est un test que je connais depuis longtemps, et auquel je me réfère un peu souvent pour voir les films.
J’ai déjà lu beaucoup d’articles dessus et j’ai lu le livre d’Alison Bechdel. (…) c’est un test qui m’intéresse à la base parce que je trouve ça hyper important d’avoir dans les films des personnages féminins qui se parlent et (…) qui parlent pas que d’un homme et ont des noms parce que c’est normal (…)
Et parce que j’en avais un peu ras-le-bol de voir toujours les mêmes personnages féminins qui sont pas développés (…) qui sont mal écrits, etc. (…) alors qu’il y a beaucoup de films que j’aime bien et qui ont des personnages féminins forts et qui sont intéressants, qui sont vraiment bien développés (…) je me suis dit pourquoi pas proposer ça aux gens et proposer que des films qui ont des personnages féminins biens.
Quel public espères-tu attirer au Bechdel Club au Brady ?
J’espère attirer des gens qui déjà ne savent pas forcément ce qu’est le Bechdel Test (…) Du coup, j’espère attirer des gens qui ne se préoccupent pas forcément de ces problématiques, mais qui voient que ce film il est programmé pour une raison et que c’est dans un cadre d’un test féministe et que c’est important. Après voilà, le public que j’aimerai bien aussi attirer c’est des gens qui connaissent aussi ce test et qui ont envie de voir des films qu’ils n’ont pas encore vus.
Il y a t-il des types de figures féminines que tu souhaites faire émerger à travers ce ciné-club ?
J’aimerai bien promouvoir des femmes… des personnages féminins de tous horizons. Que ce soit là en l’occurrence pour Erin Brockovich, (…) une femme qui se bat toute seule contre tout le monde (…) qui fait son truc toute seule et qui est forte, qui doit s’en prendre plein la gueule parce que c’est une femme et qu’on la prend pas au sérieux.
Certains films qui passent le test montrent parfois des figures de femmes assez limitées et limites, à la personnalité un peu creuse et qui n’ont aucune profondeur. Il y a un vrai besoin de créer une palette de femmes plus complexes et diverses à l’écran. Qu’en penses-tu ?
Le Bechdel Test c’est bien pour avoir une base comme je disais, mais il faut aller plus loin. Que deux personnages féminins se parlent, (…) parlent d’autres choses que d’un homme, c’est trouvable. Mais des fois, elles échangent juste une ligne et c’est juste parce qu’elles ont un nom (…) que ça passe le test, et qu’elles parlent d’autres choses que d’un homme mais pendant deux minutes. Mais pour moi, ce n’est pas assez en fait. Il faut que ça soit des personnages féminins qui soient vraiment développés et (…) qui prennent les rênes et qui ne sont pas des figures de potiches en fait parce qu’il y a des films qui passent le test mais ça reste des potiches.
Pourquoi avoir fait le choix d’Erin Brockovich en film inaugural ?
Parce que déjà c’est un film que j’aime beaucoup et parce que je trouve que là pour le coup (…) c’est un personnage qui existe Erin Brockovich (…) C’est un personnage qui me parle en tout cas (…) je trouve qu’il passe vraiment le Bechdel, mais au-dessus, pas qu’au ras-des-pâquerettes (…) Après, j’ai aussi choisi aussi un film qui est assez connu. (…)
Penses-tu que si le rôle d’Erin Brockovich avait été donné à une actrice moins connue que Julia Roberts, le film aurait eu un tel impact social et un tel succès (surtout aux Etats-Unis) ?
Peut-être pas. Je sais pas. On peut pas le dire. Je le pense pas. Si ca avait été quelqu’un de moins connu qui l’avait joué, peut-être qu’il aurait eu moins d’impact, si ça avait été un réalisateur moins connu aussi, puisque c’est quand même Soderbergh. Oui, je pense qu’il y a ces facteurs là qui jouent. On l’attendait pas Julia Roberts là-dedans, à cette époque-là, surtout qu’elle faisait des comédies romantiques. C’est sûr, ça a vachement changé son image. Mais après tant mieux que ce soit elle qui l’ait incarnée. (…) Comme ça, ça a pu parlé à des gens. Parce que c’était Julia Roberts ça a attiré du monde, finalement, tant mieux. (…)
Il y a-t-il des problématiques particulières sur lesquelles tu souhaites te pencher par la suite dans la programmation du Bechdel Club ?
Alors des problématiques, je ne sais pas. Après, moi j’aimerai vraiment projeter des films (…) de genres différents. (…) Après j’aimerai bien projeter des films un peu plus vieux pour voir aussi comment étaient traités les personnages féminins (…) il y a plus longtemps en arrière encore. Et même des films d’horreurs (…) il y en a pas énormément qui passent ce test mais il y en a qui le passent et j’aimerai bien les montrer dans cette optique là. (…) Un film d’horreur, tu le penses pas forcément par rapport au Bechdel test mais justement le faire comprendre par rapport à cette problématique. (…) je pense que le but c’est aussi de remettre en contexte les films et d’en parler avec cette idée en tête (…)
Est-ce que tu penses qu’il y a un moment où on aura plus besoin du Bechdel Test ?
Dans l’avenir proche, non. (…) il y a des films qui le passent de plus en plus, mais il y a toujours… C’est en 2016 qu’il y avait une étude qui montrait qu’il y avait énormément de films encore qui ne le passaient pas. Actuellement, les blockbusters, ils ne le passent quasiment pas donc il y a toujours ce problème et je pense qu’on aura toujours besoin de ce test. Après, bon évidemment, on ne demande pas à ce que tous les films le passent, ça serait ridicule sinon. (…) Tous les films, je ne sais pas si ça a un intérêt. Mais en tout cas qu’on arrête de proposer, qu’on arrêter de montrer des rôles de femmes à la con qui sont caricaturées, qui sont vraiment des potiches, qui ne servent à rien, et qui sont ridiculisées en fait. Et donc ça, je pense qu’on a fait des progrès, enfin l’industrie cinématographique a fait des progrès. Mais il reste énormément à faire et je pense que ce test, il sera toujours d’actualité, en tout cas (…) dans les années à venir.
Est-ce que l’émergence et la multiplication récentes de projets portés par des femmes, devant et derrière la caméra, au scénario, à la réalisation, comme à la production, avec un casting majoritairement ou exclusivement féminin a un impact selon toi sur la diversification des rôles et la représentation ?
Je pense que oui, je pense que ça aide. Qu’il y ait ce genre de films qui soient réalisés par des femmes, scénarisés par des femmes, etc. même si c’est dans le genre comique, même si c’est mainstream, justement. Si c’est mainstream tant mieux que ce soient des femmes qui le font et qu’il y en ait plein (…) Je pense que c’est super important parce que sinon dans ce cas c’est que des films, petits films indépendants que personne ne voit, même si c’est très bien.
Mais (…) il faut justement que ça devienne des trucs plus mainstream je pense. (…) si on prend l’exemple de (…) Wonder Woman, c’est un peu particulier, mais bon après c’est une femme qui l’a réalisé. Et c’est important parce qu’à l’écran c’est une héroïne qui est présentée donc c’est hyper important que ça soit une femme qui le réalise. Après, il faut maintenant que ce soit elle qui le scénarise, (…) Elle va le co-scénariser le prochain, heureusement parce que (…) c’est important que derrière des projets ou devant la caméra t’as des femmes, c’est super important que (…) t’aies des femmes aussi parce qu’on sait plus ce qu’on dit quand on met en scène une héroïne quand on est une femme. Bon après, les hommes peuvent le faire, c’est pas le problème. Mais je veux dire c’est quand même important que ce soient des femmes qui s’emparent de ça, de ces histoires-là. (…)
Et le fait que ce soit des choses aussi mainstream etc. mais ca peut donner, ça donne envie aux petites filles, aux femmes de faire ça aussi. Ça leur montre qu’elles peuvent faire ça, qu’elles peuvent réaliser un film de super héroïne par exemple. C’est complètement un problème de représentation. Il faut que devant et derrière, il y ait des femmes tout simplement et qu’elles deviennent des modèles. Wonder Woman ça a été un exemple, qu’on aime ou pas le film, qui a des défauts oui évidemment, mais après il y a des petites filles qui se sont dits bah je peux être cette personne là, je peux être Wonder Woman. Déjà ça, je trouve ça assez incroyable en fait de pouvoir se dire ça, en étant une petite fille. À chaque fois c’est des hommes qu’on voit, c’est des supers héros qu’on voit etc. Donc dans ce genre de truc, je trouve ça important pour la représentation. Et puis, en tant que femme, tu peux te dire bah ouais moi aussi je peux réaliser ce genre de film. (…)
Mais est-ce que tu penses que les femmes qui sont dans ce milieu, en production, scénario ou encore à la réalisation ont aujourd’hui les moyens de faire avancer et évoluer ce problème de représentation aussi bien sur le plan narratif que social ?
Non, je pense qu’elles ont forcément des bâtons dans les roues. (…) Sinon ça serait hyper facile. (…) Quand tu vois que si Patty Jenkins se serait casser la gueule avec Wonder Woman, elle n’aurait plus jamais fait de films de super-héros. C’est une évidence. Alors que les hommes qui les ont faits avant et qui se sont foirés, ils continuent à en faire, parce qu’ils ont droit à l’erreur, eux. Ils ont droit à plein d’erreur alors que les femmes ne l’ont pas. (…) Oui, je pense qu’elles n’ont pas droit à l’erreur parce que si tu te plantes une fois, t’es une femme donc tu ne recommences pas en fait. Et il y a ça. Mais après, il y a d’autres problématiques comme les écarts de salaires qui sont aberrants. Donc voilà, il y a toutes ces problématiques qui font que si tu veux faire un film quand t’es une femme, c’est plus compliqué, t’as moins de moyen etc. donc tu galères beaucoup plus. Après, j’ai le sentiment que ça c’est en train de changer, mais ce n’est pas normal qu’elles doivent faire face à plus d’obstacles.
Hélène Breda présentera Erin Brockovich à la première séance. Comment s’est faite cette rencontre et quelle est sa part dans ce projet ?
Alors Hélène Breda, moi je l’ai rencontré sur Twitter donc ça va aller vite. C’est quelqu’un que je suis sur Twitter depuis quelque temps et qui me suit aussi parce qu’elle est sympa. {rires} Elle est auteure, elle est maîtresse de conférences, elle est spécialiste des Gender Studies, surtout dans les séries. Elle a beaucoup écrit sur les séries etc. mais elle est aussi douée dans ce qui est la représentation des femmes et des questions de genres dans la fiction. Donc elle est spécialisée dans ça. Donc moi, j’ai un peu suivie ce qu’elle faisait sur Twitter en fait, tout simplement, j’ai regardé ses écrits etc. qui étaient très pertinents donc en fait je l’ai contacté (…) et elle m’a dit oui, tout de suite. (…) C’est comme ça que ça s’est fait : la magie de Twitter {rires} (…) Donc, elle va parler (…) du Bechdel Test, elle va expliquer d’où ça vient etc. et elle va mettre le film dans le contexte en fait (…) elle développera avec ses connaissances plus approfondies (…).
Un dernier mot sur le Bechdel Club ?
Venez parce qu’on est sympa, parce qu’on va bien rigoler. Je dirai aux gens que s’ils ont envie de découvrir, de redécouvrir des films qu’ils connaissent déjà, sous un autre angle, sous un angle plus féministe, et bien qu’ils viennent voir ces films. Et s’ils ont envie de comprendre une problématique qui est vraiment d’actualité, qui est importante, et qui doit être vraiment connue par la majorité des gens, (…) qu’ils viennent. Et puis c’est des films biens qu’on va programmer, donc venez. {rires}