Dans l’Histoire de la France, l’année 1959 marque une page importante.
Le 8 Janvier, le Général de Gaulle, âgé de 68ans, devient officiellement le Premier Président de la Vème République, fonction qu’il occupera 7ans.
« À Bout de Souffle » est un film dramatique adapté pour le cinéma et réalisé par Jean-Luc Godard, d’après l’œuvre originale de François Truffaut. Il est réalisé au format 35 mm en noir et blanc et dure 89min. Sortie le 16 Mars 1960, le film est interdit aux moins de 18 ans lors de sa sortie en salle, décision prise par la Commission de Censure le 12 Décembre 1959, qui exige la coupure de la séquence qui montre le président Eisenhower et le président De Gaulle remontant en voiture les Champs-Elysées, puisque ce sont des chefs de gouvernements encore en exercice. Le film sort dans quatre salles grand public et totalise 259 000 entrées en seulement 7 semaines d’exploitation parisienne. Ce succès public immédiat surprend étant donné l’interdiction, pénalisante, aux moins de dix-huit ans. Cette interdiction ne sera d’ailleurs levée qu’en 1975.
« À Bout de Souffle » s’inscrit dans le mouvement cinématographique nommé La Nouvelle Vague. Par ailleurs, ce film a défini l’esthétique de ce mouvement et lui a permis de fleurir dans le paysage cinématographique français. De plus, la présence de Chabrol, qui avait déjà réalisé trois films à l’époque, au générique du film est une aubaine car la caution d’un « conseiller technique » était requise pour les films de débutants.
Le film sera primé trois fois en 1960 : par le Prix Méliès, par le Prix Jean-Vigo et par le Festival de Berlin. Pour sa mise en scène, Godard reçoit l’Ours d’argent du meilleur réalisateur. Enfin, l’œuvre fera l’objet d’un remake américain intitulé « Breathless », réalisé par Jim McBride, avec dans les rôles titres Richard Gere et Valéry Kaprisky.
SYNOPSIS DU FILM
Tourné entre Paris et Marseille, « À Bout de Souffle », c’est l’histoire de la traque effrénée par la police (interprétée respectivement par Daniel Boulanger – l’Inspecteur Vital – et Michel Fabre – l’adjoint de Vital) d’un jeune délinquant, Michel Poicard, (interprété par Jean-Paul Belmondo) qui vole une voiture à Marseille et prend la route pour Paris. Il doit y toucher une certaine somme d’argent pour un travail dont il ne dit rien de tout le film et fait passer cet argent pour une dette qu’un ami lui doit. Arrêté sur sa route pour Paris par un policier, il tue celui-ci avec le revolver qu’il trouve dans la boîte à gant. Il sera très vite surnommé l’Assassin de la RN7. C’est le début de la traque parisienne.
Arrivé à Paris, il se met à la recherche d’une fille, Patricia Franchini (interprétée par Jean Seberg), aventure d’un soir qu’il, profite pour revoir. Patricia, elle, en attendant de devenir journaliste, vend le New York Herald Tribune sur les Champs-Elysées.
S’installant dans la chambre de Patricia, Michel, à son retour, apprend qu’elle est enceinte et discute longuement avec elle, tout en téléphonant régulièrement pour avoir un certain Antonio. Michel veut quitter la France pour l’Italie et veut emmener Patricia avec lui, mais la jeune femme est hésitante et incertaine de ses sentiments.
GODARD EN QUELQUES MOTS
Jean-Luc Godard est un réalisateur de nationalité suisse, né le 3 décembre 1930 à Paris.
En 1949, il étudie l’ethnologie à la Sorbonne. Et il commence à fréquenter assidument le ‘ciné-club’ et les cinémas dans le Quartier latin de Paris.
Il noue des amitiés avec André Bazin, François Truffaut, Jacques Rivette, et Eric Rohmer. Godard fonde un magazine « La Gazette du cinéma » avec Rivette et Rohmer. Lorsque André Bazin fonde « Les Cahiers du cinéma » en 1951, Godard, Rivette et Rohmer sont parmi les premiers à y écrire. Jean-Luc Godard y signe soi de son propre nom, soi sous le pseudo de Hans Lucas (Jean-Luc en allemand).
Il réalise son premier film en 1954 : « Opération béton », un court métrage. C’est aussi le titre d’un documentaire sur Jean-Luc Godard, réalisé en 1965 par Jacques Doniol-Valcroze.
Il faut attendre 1959, pour qu’il réalise son premier long métrage, « À Bout de Souffle », un gros succès critique et public, qui sera le film-phare de la Nouvelle Vague. Il participe également à des films collectifs : « Les Plus belles escroqueries du monde » et « Paris vu par… ».
Son cinéma devient un moyen de lutter contre le système, avec « La Chinoise » (prémonitoire car réalisé en 1967) et « Week-end ». Il prône un cinéma idéaliste qui permettrait au prolétariat d’obtenir des moyens de production et de diffusion. Il part alors à l’étranger (New York, Canada, Cuba, Italie, Prague) où il commence des films qu’il ne terminera pas ou qu’il refusera de voir diffuser. À partir de 1973, Godard s’intéresse à la communication et à la technologie. La vidéo va lui permettre de parcourir, seul, toutes les étapes de la chaîne création-production, et sera pour lui le medium par excellence.
GODARD & LA NOUVELLE VAGUE
Il faut savoir que la formule « Nouvelle Vague » est de Françoise Giroud, à l’origine.
Elle s’en sert dans l’Express du 3 octobre 1957 pour qualifier les jeunes en général.
Ce n’est qu’en 1959 lorsque Pierre Billard reprend la formule qu’elle prend tout son sens, puisqu’il l’emploie, avec d’autres chroniqueurs, pour désigner les cinéastes issus des Cahiers du Cinéma réalisant alors leurs premiers longs métrages en 1958-1960.
Il y a une distinction nette marquée par la création d’œuvres fortes, qui prennent le contre-pied des habitudes garantes d’un succès respectueux des traditions.
Cependant, auparavant, beaucoup de cinéastes se sont affranchis des règles du Centre National de la Cinématographie à l’image d’Agnès Varda (« La Pointe courte », 1954), Jean-Pierre Melville (« Le Silence de la Mer » en 1949), Roger Leenhardt (Les Dernières vacances » 1948) ou encore Alexandre Astruc (« Les Mauvaises Rencontres », 1955) et peuvent être considérés comme des précurseurs.
Mais en 1959, la donne change.
La Nouvelle Vague se distingue d’abord par la vitalité qui émane des jeunes cinéastes qui la composent et qui semblent pouvoir renouveler de façon radicale le cinéma français.
Mais sa particularité essentielle vient des deux tendances qui la composent. En effet, certains membres viennent du milieu de la critique (Claude Chabrol, François Truffaut, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Eric Rohmer) ; tandis que d’autres viennent du court-métrage (Alain Resnais, Jacques Demy, Agnès Varda, Georges Franju, Jean Rouch).
Et c’est cette différence et ce frottement entre la théorie et la pratique qui enrichissent ce mouvement cinématographique. Enfin, il y a l’opposition entre les « jeunes turcs » des Cahiers du cinéma (qualificatif que l’Histoire attribuera aux jeunes personnalités révolutionnaires du mouvement telles que Chabrol, Malle, Truffaut, Doniol-Valcroze, Rohmer, Rivette, ou encore Godard) et le groupe « Rive Gauche », basée sur des accusations de clivages politiques.
Et si l’aventure économique de la Nouvelle Vague n’a duré que 6 ans, elle a cependant laissé un héritage technique très important : la caméra légère et le recours à des pellicules plus sensibles permettant de tourner dans la rue, sans l’éclairage des studios. Modèle qui se perpétuera longtemps par son extension aux pays de l’Est, au Brésil, au Canada, en Allemagne, au Japon, au Brésil. Esthétiquement, la Nouvelle Vague se perpétue jusqu’à nos jours par le travail de cinématographes tels que Desplechin, Bonitzer, Olivier Assayas, ou encore Quentin Tarantino.
De 1959 à 1965, Godard révise film après film les différents genres cinématographiques : policier, film d’espionnage, comédie musicale, science-fiction… Après, « Pierrot le fou », le documentaire occupe une plus grande place dans son œuvre.
Cette démarche est d’autant plus logique lorsqu’en 1959, son proche ami Truffaut déclarait que :
« Les films doivent montrer des filles comme nous les aimons, des garçons comme nous les croisons tous les jours, bref, les choses telles qu’elles sont ».
À BOUT DE SOUFFLE: UN FILM AVANT-GARDISTE
Jean-Luc Godard réalise là un des premiers films de la Nouvelle Vague. Il rend hommage notamment au pionnier Resnais : cf. lorsque Belmondo passe devant un cinéma, c’est « Hiroshima mon amour »qui est à l’affiche. Clin d’œil également au talent d’acteur du réalisateur Jean-Pierre Melville qui joue Parvulesco dans le film.
« A bout de souffle » marque le début d’une série de films où Godard pense le cinéma en réinventant la forme narrative : « Une femme est une femme », « Le Petit Soldat « (censuré car il abordait ouvertement la Guerre d’Algérie, sujet tabou de l’époque et pour longtemps…), « Les Carabiniers », « Le Mépris », « Pierrot le Fou », ou encore « Alphaville », (sous-titré Une étrange aventure de Lemmy Caution et Masculin-Féminin.)
Mais « À Bout de Souffle », c’est aussi sa seule œuvre qui se rattache à un genre, celui du film noir, où le réalisme semble manquer le plus (excusable pour un premier film). La partie volontairement documentaire du film, qui souligne la modernité et la particularité de Godard, s’efface avec facilité devant la traque du bandit en cavale. En 1962, il explique cette dualité documentaire/fiction :
« Si je m’analyse aujourd’hui, je vois que j’ai toujours voulu au fond, faire un film de recherche sous forme de spectacle. Le côté documentaire c’est un homme dans telle situation. Le côté spectacle vient lorsqu’on fait de cet homme un gangster ou un agent secret ».
Godard a tourné « À Bout de souffle » en muet le plus souvent (ce qui est contradictoire avec les principes esthétiques de la Nouvelle Vague qui privilégie le son direct), la caméra à l’épaule, et sans éclairages additionnels pour que les sons d’ambiance deviennent les éléments perturbateurs du carcan de la lisibilité des dialogues.
Le montage haché (non-harmonieux) du film joue sur de nombreux faux raccords (ruptures de continuité directe d’un plan à l’autre et cassures rythmiques) ; des plans de « Saute » (comme dans la scène de la salle de bain) servent à souligner des détails de la chambre de Patricia, qui sont montrés par de très rapides inserts, dès que le thème est abordé. L’insert n’est jamais gratuite, elle a une forte signification, et est chargée d’émotion, comme par exemple l’insert du tableau de Roméo et Juliette, faisant écho à la fin, à l’amour impossible entre Patricia et Michel ; et la vision quasi-documentaire de Paris, sont des techniques très novatrices à l’époque et suscitent une attention particulière de la critique.
À sa sortie, ce film, qui n’a que l’apparence d’un film policier, a déconcerté les amateurs du genre, habitués à un tout autre cinéma, à cause notamment de la multitude de nouvelles techniques.
La distanciation pousse Godard à rappeler que nous regardons un film, que c’est du cinéma (aspect frontal). Il malmène son spectateur en ceci qu’il ne lui propose jamais un récit constitué, mais un récit à constituer.
Le spectateur se doit d’être attentif et, constamment, très actif. Partagé, en somme, entre le désir de raconter des histoires mais aussi de réfléchir sur la manière de les raconter et la manière dont se bâtit une fiction (recherche d’une nouvelle façon de raconter une histoire).
Cet aspect interactif du film « À Bout de Souffle » l’inscrit davantage comme un film profondément moderne, et avant-gardiste pour son temps.
ALLER PLUS LOIN: L’UTILISATION DU PROCÉDÉ DU « JUMP CUT » ET LES SCÈNES REMAQUABLES DU FILM
Dans ce film, Godard utilise une technique de montage qui s’appelle le « Jump Cut » et qui consiste à éliminer au montage un plan sur deux dans une série de champs-contrechamps. Il l’use d’abord pour réduire la durée de son film, trop long, et la combine à sa vieille obsession critique, qui consiste à ce que le mouvement de la caméra se substitue au champ-contrechamp, et qui a pour conséquence la libération du hors champ, si caractéristique de la modernité.
EXTRAIT 1 : 00’17’45 à 00’18’30 / Chapitre 7 : il s’agit de la séquence où Michel sort du métro par la sortie opposée à celle par laquelle est entré l’Inspecteur Vital ; scène devant le cinéma remplie d’hommage et d’allusions : Michel observe d’abord l’affiche du film de Mark Robson avec Humphrey Bogart et Rod Steiger, « Plus dure sera la chute » (« The Harder They fall », 1956) ; puis le portrait de Bogart, et il fait son signe de pouce sur ses lèvres. La séquence se termine par une fermeture à l’iris
EXTRAIT 2 : 00’21’14 à 00’22’38 / Chapitre 8 : Séquence de Jump-Cut : quand Michel accompagne Patricia en voiture jusqu’à son rendez-vous avec le journaliste américain du Herald Tribune, interprété Van Doude, qui va lui confier la réalisation d’une interview.
EXTRAIT 3 : 00’30’20 à 00’35’34 / Chapitre 10 : séquence du « souris-moi » suivie de « tu es lâche » et de « je vous regarde jusqu’à ce que vous arrêtiez de me regarder ».
EXTRAIT 4 : 01’23’12 à 01’26’00 (fin du film) / Chapitre23-24 : Séquence finale : Après avoir dit à Berutti que Patricia l’avait dénoncé et qu’il en avait marre de la cavale, Michel court le long de l’avenue, poursuivi par l’Inspecteur Vital et Patricia. On a le climax du film, moment fort où l’on a en partie la signification du titre du film « A bout de souffle » fait écho à « Vivre dangereusement jusqu’au bout » titre d’une affiche devant laquelle passe Michel au chapitre V et à « j’en ai marre, je suis fatigué, j’ai envie de dormir » au chapitre 23, qui sonne comme une annonce de sa mort. De plus la musique progressive, intensifie le côté dramatique de cette fin. Les variations de la musique correspondent au degré de défaillance de Michel jusqu’à ce qu’il s’écroule.
Fin culte : L’inspecteur Vital : « Il a dit : vous êtes vraiment une dégueulasse. »
Patricia : « Qu’est ce que c’est dégueulasse ? », tout en faisant le geste du pouce qui épouse la lèvre.